MInuit brûle
(2022 - en cours)

Lors d’une soirée en 2015, j’ai été victime d’une agression homophobe dans une rue de Bordeaux. Quand je suis allé·e porter plainte, le policier m’a dit que la seule raison qui pouvait expliquer mon agression était la pleine lune. Cet événement est le point de départ de Minuit brûle, un projet transmédia mêlant photographie expérimentale, poésie, céramique et vidéo, où j’explore mon traumatisme, la nuit et mon sentiment de rage.

Minuit Brûle explore trois cycles : le cycle de la lune, le cycle personnel / menstruel et le cycle des agressions. J’utilise un procédé de photographie alternative qui consiste à tremper les pellicules dans mon propre sang, puis de les exposer à la lumière de la lune. De cette façon les images deviennent des survivantes, entre destruction et soin, elles existent malgré et à cause des dégâts qu’elles ont subi.

Par ailleurs, j’ai réalisé un travail de réappropriation de mon dépôt de plainte. Je le voyais comme un document qui avait figé mon vécu dans un ensemble de phrases qui ne reflètent pas l’injustice et l’indifférence auxquelles j’ai été confronté·e. J’avais en tête les gravures de Gustave Doré pour la forte présence de la nuit, la suggestion de la violence et de la peur. Avec Le Loup et les brebis, j’ai repris tous les documents associés au dépôt de plainte, je les ai anonymisés, recouverts de liquide à cyanotype et exposés à la lumière pour révéler la gravure.

Comme les feuilles du dépôt de plainte sont fines, passer par le cyanotype les rend très fragiles. Certaines lettres s’estompent, le papier se froisse, rendant ces documents vulnérables tout comme j’ai pu l’être lors de mon dépôt de plainte.

Police said, pellicule trempée dans du sang menstruel, exposée au clair de lune et gravée (2022)
Dépôt de plainte pages 3-4-5, cyanotypes, papier 90g (2022)
Le Loup et les brebis, cyanotypes sur les différentes pages du dépôt de plainte, négatifs réalisés à partir d’une gravure de Gustave Doré, papier 90g (2022)

[…]
Les Chiens, qui sur leur foi, reposaient sûrement,

Furent étranglés en dormant :
Cela fut sitôt fait qu’à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux ; un seul n’en échappa.

Nous pouvons conclure de là
Qu’il faut faire aux méchants guerre continuelle.
            La paix est fort bonne de soi :
            J’en conviens ; mais de quoi sert-elle
            Avec des ennemis sans foi ?

Extrait de la fable Le Loup et les brebis, fable XIII, livre III, Jean de la Fontaine

Levé de Lune, pellicule trempée dans du sang menstruel (2023)
Les loups, pellicule altérée dans du sang menstruel (2023)
La Meute, risographie quatre couleurs, papier colorplan mist 135g, édition de 30 exemplaires numérotés et signés
Installation La Meute, SpazioSERRA, Milan, Italie (2024)
2 des 180 risographies qui composent l'installation, 180 risographies pour les 180 cas par an d'agression physique homophobes en France rapportées à SOS homophobie (2024)
Les pleines lunes, pellicule trempée dans du sang menstruel (2023)
Lune de sang, pellicule trempée dans du sang menstruel (2023)

Cette nuit-là j’ai été une proie
Il faut croire que ça se voyait dans mon corps
Alors quand la police m’a dit que
la seule explication à mon agression
était la pleine lune
J’ai cru mourir une seconde fois

Comme s’il n’y avait rien qui pouvait
expliquer les violences homophobes
Comme si nous n’étions pas
des centaines chaque année à être
battu·e·s*, mis·e·s dehors, tué·e·s

Alors oui je ne sais pas me taire,
Garder le silence n’a jamais
permis de guérir
À l’intérieur de moi, il y a 
un puits de rage
sans fond
Je le contemple des fois

Pleine Lune, pellicule trempée dans du sang menstruel (2023)
Quartier de Lune, pellicule trempée dans du sang menstruel (2023)

Suite à l’agression
j’ai pu me dissocier,
J’ai cru que c’était un super pouvoir
Arriver à ne plus rien ressentir,
le vide absolu
En fait je n’arrivais plus à être entier

Celles et ceux qui ont compris
qui m’ont aidé à guérir
N’ont pas été ma famille
Ni mes ami·e·s
Mais de parfaits inconnu·e·s
Queer, comme moi

La lune n’a jamais été la coupable,
J’ai inscrit sur mon corps un talisman
La nuit fait partie de moi
Les étoiles me regardent,
je les regarde
Et la lune me protège

Cette nuit-là, poème (2022)

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